Activisme à l'anglaise contre les risques du travail

par Nathalie Quéruel / octobre 2013

« Hazards ». Ce magazine anglais dénonce les risques professionnels, tirant à boulets rouges sur leurs responsables. Et fournit, sous forme d'informations, armes et munitions à des syndicalistes ou victimes, militants de la prévention au sein du réseau Hazards Campaign.

Sous un soleil de plomb, ils sont 350, pour la plupart syndicalistes chargés des questions de santé et de sécurité au travail, à avoir rallié le campus de l'université de Keele, à Stoke-on-Trent (Angleterre), où se tenait du 19 au 21 juillet la conférence annuelle du mouvement Hazards Campaign (littéralement : "Campagne des risques"). "Arrêtez ça, vous nous tuez ! Se battre pour des lieux de travail sains" : l'intitulé de la séance d'ouverture donne le ton, sans aménité pour les employeurs. C'est le but de ce forum : fournir aux représentants syndicaux à la fois de l'inspiration et des outils, en alternant sessions plénières aux accents dénonciateurs et ateliers pratiques, sur des thèmes aussi variés que l'évaluation des risques, le rôle des commissions de sécurité, le harcèlement, les troubles musculo-squelettiques... Christopher Mullings, membre d'Aslef, syndicat de conducteurs de train, y vient pour la première fois. "J'aimerais vérifier que mon approche de la santé et de la sécurité va dans le bon sens et trouver de nouvelles idées, explique-t-il. La négociation sur ces questions est très difficile, les employeurs renâclant à investir dans la prévention."

Une expérience unique en Europe

Pour les chantres de la dérégulation et les patrons voyous, Hazards Campaign est une épine dans le pied. Le mouvement, lancé en 1987 et désormais présidé par l'infatigable Hilda Palmer, se distingue en effet par son activisme. Assemblage hétéroclite de syndicats, de communautés locales, de groupes nationaux (comme l'Alliance pour la prévention du cancer ou le Réseau anglais du stress au travail) et d'associations de victimes (à l'instar des Familles contre les patrons tueurs ou du Forum des victimes de l'amiante), il constitue une expérience unique en Europe. "Réussir à mobiliser sur la santé et la sécurité au travail des syndicalistes de secteurs différents et d'obédience diverse est assez étonnant, souligne Aïda Ponce Del Castillo, chercheuse à l'Institut syndical européen. Les militants du réseau se montrent très motivés, nous le constatons lors de nos conférences à Bruxelles. D'ailleurs, ils se font rapidement remarquer avec leurs slogans forts, imprimés sur des tee-shirts."

Au centre de gravité du réseau se trouvent le magazine Hazards et son rédacteur en chef, Rory O'Neill, reconnu en 2008 par le journal américain EHS Today comme un des cinquante promoteurs de la santé et de la sécurité au travail les plus influents. Une première version a commencé à paraître en 1977, sous le nom de Hazards Bulletin. Jusqu'à sa faillite en 1984, suite aux poursuites judiciaires en diffamation engagées par un certain Dr Robert Murray, spécialiste en santé au travail, à propos duquel le magazine avait révélé des accointances avec le milieu industriel et les points de vue orientés qui en résultaient. Le trimestriel renaît l'année suivante, avec Rory O'Neill à sa tête. Ce dernier a été sensibilisé très jeune aux problèmes de santé au travail, sa famille comptant des victimes de l'amiante. Lui-même, avant d'aller à l'université où il a obtenu un diplôme de chimie, a été ouvrier dans le secteur de la construction et a été exposé au matériau cancérogène. Il a également, grâce à une bourse, étudié pendant trois ans l'emploi précaire et les réalités du travail moderne à UCLA, la fameuse université californienne. Autant dire que la tête pensante de Hazards, aujourd'hui chercheur en santé au travail à l'université de Stirling (Ecosse), connaît son sujet.

Révélateur de scandales

Sous sa houlette, depuis presque trente ans, Hazards met au jour la réalité cachée derrière la communication des entreprises sur la sécurité et publie inlassablement informations, faits, chiffres et documents à l'intention des représentants des salariés. "Nous procurons les munitions, à eux de faire feu", résume Rory O'Neill. Il est aussi l'initiateur de Hazards Campaign, qu'il décrit comme "l'aile paramilitaire" de la revue. Le magazine, qui a été récompensé par quelques prix, fait à l'occasion éclater des scandales. Comme, en 2009, celui des salariés de la construction mis sur liste noire pour avoir dénoncé les mauvaises conditions de travail. Hazards a été un des rares médias à parler de cette liste que se partageaient une quarantaine d'entreprises du BTP, dont Vinci, pour ne pas embaucher les travailleurs concernés", raconte Dave Smith, victime de cette pratique et cofondateur de l'association de défense des "blacklistés". "Sans le blog créé sur le site de Hazards, nous n'aurions pas la même audience", reconnaît cet ancien délégué syndical à la sécurité.

Depuis l'arrivée en 2010 du gouvernement conservateur, qui clame haut et fort que "la sécurité est un fardeau pour les entreprises", la revue a fort à faire. Fin 2012, Hazards dévoilait le plan visant à réduire drastiquement les inspections du Health and Safety Executive (HSE), l'agence publique britannique chargée de la santé au travail. Pas moins de 37 secteurs y échapperont, de l'agriculture à la production de ciment, en passant par la plasturgie, tous considérés... à faible risque. Le pouvoir en prend pour son grade : le secrétaire d'Etat aux Entreprises, Vince Cable, est qualifié de "fou" et le Premier ministre, David Cameron, de "marionnette de l'industrie". Ce ton intransigeant et provocateur, Rory O'Neill l'assume sans détour : "Les salariés ne sont pas chouchoutés, eux. Comment pourrions-nous tenir un discours mollasson alors qu'ils mettent leur vie en jeu au travail ? L'important, c'est la manière dont leurs représentants s'emparent des informations pour changer leurs conditions de travail." Et ces dernières sont parfaitement étayées, diverses, de première main, grâce à un réseau national mais aussi international de militants, chercheurs et syndicalistes.

L'indépendance, garante du pouvoir

Magazine indépendant à but non lucratif, Hazards vit de ses abonnements. Trois syndicats - Unison, Nut et Unite - contribuent à son financement, à hauteur chacun de 2 000 livres par an (2 300 euros), en échange de réductions sur les tarifs de souscription et d'encarts publicitaires. "Ces moyens modestes limitent sans doute notre influence, mais cela protège notre pouvoir", soutient le rédacteur en chef. Selon Jawad Qasrawi, business manager et seul autre salarié de Hazards"la revue est abondamment photocopiée et passe de main en main. Nous estimons que, si les abonnés sont 9 000, le nombre de lecteurs est près de dix fois plus élevé". La publication jouit d'une réputation en dehors du Royaume-Uni, comme en témoigne Omana George, chef de projet santé-sécurité au travail de l'association Asia Monitor Resource Centre, basée à Hong Kong, qui soutient les acteurs de terrain sur les conditions de travail : "C'est une excellente source d'information scientifique. Et je puise dans leur expérience de militants des idées sur la façon d'agir et de mener des campagnes."

Toujours sur la brèche, Rory O'Neill a postulé en juin dernier au poste de directeur... du HSE. Ses chances d'être désigné ? "En dessous de zéro !", juge-t-il. Il n'en poursuit pas moins le combat en lançant sur les réseaux sociaux la campagne "We love red tape" ("Nous aimons la paperasserie"), pour mettre au centre des débats une approche de la santé au travail basée sur la régulation et la prévention. Et pour contrer le discours gouvernemental selon lequel l'unique obsession des travailleurs britanniques serait d'obtenir des indemnités. "Un énorme mensonge" qu'il démonte, chiffres à l'appui...

En savoir plus
  • www.hazards.org, le site du magazine Hazards, constitue une source d'information très fournie sur la santé au travail. Il propose notamment des articles d'actualité, une documentation thématique et des liens vers d'autres sites traitant de la question.

  • A consulter également : www.hazardscampaign.org.uk, le site du réseau Hazards Campaign.