Vent mauvais

par
© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE © NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
François Desriaux rédacteur en chef
/ janvier 2015

Chapeau l'artiste ! On ne pourra pas reprocher à Pierre Gattaz, le numéro un du Medef, d'avoir loupé son plan de com'. Il a habilement su imposer dans les médias l'anxiété des patrons face à la complexité du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Et faire oublier du même coup que ce C3P constituait une contrepartie sociale majeure au recul de l'âge de la retraite pour les salariés soumis à des conditions de travail pénibles pouvant altérer leur espérance de vie

Exit l'angoisse des salariés qui ne peuvent plus tenir les cadences, les horaires, ou supporter des contraintes de poste incompatibles avec leur vieillissement et leur usure professionnelle, et qui redoutent un licenciement pour inaptitude et la mort sociale qui s'ensuivra. Exit, également, le "P" de la prévention. Ainsi, qui défend encore l'intérêt de la démarche du C3P pour repérer et réduire dans les entreprises les facteurs de risque susceptibles d'avoir des effets à long terme et de compromettre le maintien dans l'emploi des salariés vieillissants ? Pas grand monde au sein du gouvernement et de l'administration, à part le directeur général du Travail, venu débattre aux dernières Rencontres de notre magazine1 . On a entendu des ministres suggérer d'assouplir le dispositif, voire de supprimer du décret certains facteurs de risque comme les gestes et postures pénibles... mais personne n'est monté au créneau pour souligner que, contrairement aux éléments de langage distillés par les organisations patronales, le compte pénibilité s'inscrit d'abord dans les fondements de la prévention des risques professionnels, à savoir l'évaluation des risques et la traçabilité des expositions.

Au-delà du C3P, il est permis de se demander si, désormais, ce n'est pas l'ensemble de la santé au travail qui "commence à bien faire", pour reprendre la formule utilisée par l'ancien chef de l'Etat à propos de l'environnement lors du quinquennat précédent. Ainsi, les récentes annonces sur la médecine du travail, issues du Conseil de la simplification pour les entreprises, et les documents qui ont circulé depuis ont provoqué un tollé chez les professionnels et les organisations syndicales. Entre la charge contre les visites médicales du travail et celles contre les restrictions d'aptitude et les mesures d'adaptation des postes qu'elles induisent, on peut craindre que le principe fondamental de l'adaptation du travail à l'homme fasse les frais de cette "lutte contre les rigidités du marché du travail et que certains cherchent à lui substituer l'adaptation de l'homme au travail.

Certes, depuis, le ministère du Travail a un peu repris la main et réussi à imposer une mission sur l'aptitude médicale. Certes, le volet médecine du travail a été retiré du projet de loi Macron sur la croissance et l'activité... Peut-être même que la mission de réflexion débouchera sur une médecine du travail enfin débarrassée de la détermination de l'aptitude, qui s'oppose à son rôle exclusif en faveur de la santé des salariés. Mais dans l'immédiat, c'est un vent mauvais qui souffle sur la santé au travail et la prévention des risques professionnels, clairement étiquetées comme des obstacles à la croissance.

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    Voir la rubrique "Débat", page 52 de ce numéro.