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Emploi des seniors : les syndicats sauvent les meubles

par Catherine Abou El Khair / 24 avril 2024

Si les syndicats ont rejeté le « pacte de la vie au travail » proposé par les deux principales organisations patronales pour améliorer l’emploi des seniors, la négociation séparée sur le compte épargne-temps universel (CETU) devrait aboutir à un accord. Décryptage.

Coup dur pour les travailleurs seniors et la prévention de l’usure professionnelle. Après avoir achevé, mercredi 10 avril, les négociations sur le « pacte de la vie au travail », les confédérations syndicales ont toutes refusé de signer le projet d’accord soumis par les organisations patronales. Les partenaires sociaux n’ont pas réussi à s’entendre sur l’aménagement des conditions d’emploi, de travail et d’accès à la formation des salariés en fin de carrière, comme le souhaitait le gouvernement dans sa lettre de cadrage. « Le texte ne contient aucun nouveau droit pour les salariés, ne résout en rien les problèmes structurels pour l’avenir, ni ceux générés pour les plus de 50 ans aujourd’hui », a attaqué la CFE-CGC dans un communiqué.
Les confédérations, qui avaient élaboré 10 propositions communes dans l'objectif de conclure un « accord ambitieux », ont déploré le manque de souplesse du Mouvement des entreprises de France (Medef) et de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Lesquels leur ont reproché réciproquement « de faire de cette négociation l’acte II de la réforme des retraites ». « Le patronat n’a cédé sur rien, je n’ai jamais vu ça, déplore François Hommeril, président de la CFE-CGC. Les négociateurs se sont rendu compte assez rapidement que la négociation tournait en rond. » 

« Crispations » autour de la prévention de l’usure 

Les partenaires sociaux ont échoué à trouver des terrains d’entente sur l’aménagement des fins de carrière. Et ce, malgré la volonté patronale de développer le temps partiel chez les seniors. Après avoir ouvert une porte sur une retraite progressive accessible à partir de 60 ans, le Medef est revenu en arrière. Qui plus est, la proposition patronale d’un CDI senior, « contrat de valorisation de l’expérience » pour les plus de 60 ans pouvant être rompu dès l’âge légal de départ à la retraite sans versement d’indemnités, a constitué une ligne rouge pour les syndicats. Sur la formation, les discussions ont aussi buté sur la rupture du contrat de travail à l’issue de la reconversion. 
S’agissant des conditions de travail, sujet encore plus difficile, les représentants des salariés ont déploré le manque d’avancées. « Les négociations ont été très crispées sur la question de l’usure professionnelle », ajoute Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT en charge de l'organisation, la vie et la santé au travail. Les organisations syndicales se sont notamment vu opposer une fin de non-recevoir sur leur demande visant à obliger branches et entreprises à une cartographie des métiers à risques et à fort taux de sinistralité. Les employeurs ont proposé à la place une obligation de négocier l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés seniors tous les trois ans, et ce dans les seules entreprises de plus de 300 salariés. Aux yeux de la CFDT, le seuil d’effectifs était trop élevé tandis que le contenu de la mesure n’intégrait pas explicitement les questions de soutenabilité et de charge de travail. 
Dans un document de février 2024, la CGT avait de son côté listé ses demandes, à l’évidence très éloignées des propositions patronales : droit au temps partiel dès 55 ans sans perte de salaire, congés payés supplémentaires en cas de pénibilité, négociations de branche pour définir les métiers pénibles, droit du Comité social et économique (CSE) à mener une « enquête pénibilité », retour aux 10 critères du compte pénibilité, obligation de reclassement...
La mise en place d’un compte épargne-temps universel (CETU), également demandée par le gouvernement, ne figurait pas non plus dans la dernière version du texte en raison d’une opposition frontale du Medef et la CPME. De quoi éloigner la perspective d’un accord avec la CFDT et la CFTC, lesquelles promeuvent ce dispositif pour permettre aux salariés de moduler leur temps de travail au cours de leur carrière. 

Mutualisation des indemnités pour inaptitude

Pour trouver une voie de passage, l’Union des entreprises de proximité (U2P), troisième organisation professionnelle représentant les artisans, commerçants et professions libérales, a décidé de faire cavalier seul en ouvrant de nouvelles négociations séparées avec les syndicats. Deux projets d’accords nationaux interprofessionnels (ANI) ont été finalisés mardi 23 avril, dans un climat beaucoup plus apaisé. La signature de ces accords par des syndicats dont les audiences électorales totalisent plus de 30 % doit donner lieu à une transposition par le gouvernement en l’absence d’opposition majoritaire, si l’on s’en tient à la lettre du Code du travail (article L. 2232-2). Et ce même sans le soutien du Medef et de la CPME. « Dès lors qu'il y a accord, il y a transposition », a d’ailleurs réagi la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, citée par le quotidien Les Echos
Le premier projet d’accord, salué par la CFDT et la CFTC, porte sur la mise en place du compte épargne-temps universel. Il s’agit d’un droit attaché à la personne, portable d’un emploi à un autre, permettant de s’absenter du travail pendant un maximum d’un an, et utilisable aussi pour réduire le temps de travail en fin de carrière dans la limite d’un mi-temps. Le second, plus consensuel dans les rangs syndicaux, crée une sorte de droit à une formation en alternance sans limite d’âge, finançable comme l’apprentissage. Il introduit, en revanche, une mesure inédite : la mutualisation de la prise en charge du coût des indemnités de licenciement pour inaptitude pour les salariés de plus de 55 ans. Cette mesure très attendue par l’U2P doit « lever un frein à l’emploi des seniors », analyse Isabelle Mercier de la CFDT. 

Cartographie encouragée pour les métiers usants 

L’accord prévoit que les salariés exposés à une usure au travail bénéficient d’un entretien avec un conseiller en évolution professionnelle lors de leur visite médicale de mi-carrière, fixée à 45 ans. Lequel devrait alors aussi contribuer à la recherche d’une entreprise d’accueil en cas de reconversion professionnelle. Les branches sont encouragées – et non obligées – à définir la liste des métiers exposés avant la fin de l’année 2025 dans le cadre du Fonds d’investissements dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu).  
L’amélioration du dialogue social sur la question des conditions de travail est donc absente de ce compromis entre partenaires sociaux. « Nous devons continuer à revendiquer une véritable prise en charge de la pénibilité très en amont dans les carrières professionnelles », observe Michel Beaugas de FO. Il assume néanmoins l’implication de son organisation dans cette négociation puisque l’accord trouvé « évite tout de même une dégradation des droits de salariés ». « Ce n’est pas tant le contenu que la portée politique paritaire qui compte, poursuit-il. Quand on joue le jeu d’une négociation honnête, on peut arriver à des projets d’accord qui peuvent faire consensus. »